Stratégie(s) d’adaptation : Crozes-Hermitage face aux changements climatiques
Selon Copernicus, le programme d’observation de la Terre de l’Union européenne, 2024 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée, avec une température moyenne supérieure de 1,6 °C à celle de l’ère préindustrielle. 2025 ne fait pas exception et devrait figurer sur le triste podium des années les plus chaudes. Les aléas climatiques ont un impact majeur sur toutes les régions viticoles, incluant Crozes-Hermitage, ce qui oblige les vignerons à faire preuve d’une grande agilité. Fort heureusement, les outils d’adaptation atténuent les répercussions et permettent aux producteurs de construire un vignoble résilient et de faire rayonner, durablement, les vins de leur terroir.
Zoom sur ces leviers – testés et approuvés au vignoble – avec Michelle Bouffard.
Un écosystème résilient pour un vignoble pérenne
Aujourd’hui, 60 % du vignoble est conduit en viticulture biologique, une approche qui, combinée à différentes pratiques, comme l’adoption de couverts végétaux, favorise la santé des sols, un élément fondamental pour construire un vignoble pérenne. Du choix des porte-greffes en passant par les pratiques au chai, les vignerons doivent mobiliser plusieurs outils pour s’ajuster aux conditions changeantes et continuer d’élaborer des vins d’expression et de caractère. Yann Chave, co-président de l’appellation, demeure optimiste : « On doit travailler avec deux itinéraires techniques, selon que les années soient plus humides ou plus sèches et parfois même les deux au cours d’une même saison. C’est intellectuellement stimulant ! »

3 pratiques d'adaptation dans les vignes
Les vignerons de Crozes-Hermitage ont donc mis en place de nombreux leviers afin de bâtir un écosystème résilient et de permettre à la vigne de produire des rendements à la fois viables et qualitatifs, fidèles à la typicité de la région.
La syrah, cépage emblématique de l’appellation, est justement connue pour son comportement anisohydrique. Autrement dit, contrairement aux cépages dits “isohydriques”, la plante maintient ses stomates ouverts (les pores situés sur la face inférieure des feuilles), même pendant de fortes chaleurs et de déficit en eau, ce qui accentue la perte d’eau par transpiration ou évaporation et augmente le risque de stress hydrique. Dans un contexte où les années caniculaires deviennent de plus en plus fréquentes (citons notamment 2018, 2022, 2023 et 2025), il est donc devenu crucial de mettre en place des pratiques pour que la vigne s’adapte aux nouvelles réalités :
- Le mode de conduite en échalas : il permet de protéger les raisins grâce à un ombrage naturel assuré par le feuillage, tout en favorisant une meilleure aération lors des périodes plus humides. “L’un des changements majeurs est l’abandon de l’effeuillage sur la partie de la vigne exposée au sud, où l’ensoleillement est plus important, afin de mieux protéger les raisins de l’exposition directe au soleil”, comme le souligne Yann Chave, président de l’appellation.
- Les couverts végétaux : le recours accru aux couverts végétaux entre les rangs de vigne constitue, d’après Marc Romak du Domaine Mélody, une évolution marquante des dernières décennies. Il explique : “Semés à l’automne, ils sont tondus ou roulés, puis utilisés comme paillage. Cette pratique joue un rôle déterminant puisqu’on peut observer, lors d’une journée caniculaire, un écart de température de 10 à 20 °C entre un sol couvert et un sol nu. Un sol couvert par un paillage réduit donc l’évapotranspiration et, par conséquent, maintient une meilleure disponibilité en eau pour la vigne. On limite ainsi les risques d’arrêt de la maturation phénolique, un phénomène souvent provoqué par un stress hydrique excessif, ou encore une perte de rendement causée entre autres par des raisins desséchés. L’autre bénéfice majeur des couverts végétaux réside dans l’augmentation de la matière organique des sols”. Pour ce, le vigneron travaille notamment avec du fumier et du compost, qu’il épand à raison de 8 à 10 tonnes à l’hectare au printemps, en complément de l’utilisation des couverts végétaux. Il constate des résultats probants : « On est passé de 1,1 % à 2,5 % de matière organique en dix ans. Cela peut sembler modeste mais c’est considérable, car il est très difficile d’augmenter la matière organique sur des sols pauvres. » Cette matière organique joue un rôle fondamental dans la prévention de la compaction des sols, le développement de la vie microbienne et l’établissement des mycorhizes, des réseaux fongiques qui entretiennent une relation symbiotique avec les racines de la vigne. Ces réseaux mycorhiziens favorisent les échanges d’eau et de nutriments entre le sol et le système racinaire, contribuant ainsi à une meilleure résilience de la vigne face aux stress climatiques.
- La taille tardive de la vigne : cet autre outil d’adaptation face aux aléas climatiques va principalement protéger face aux épisodes de gel printanier, de plus en plus fréquents. “Taille tôt, taille tard, rien ne vaut la taille de mars, disaient nos grands-parents », rappelle Marc Romak. Il fait notamment référence au gel du 8 avril 2021, qui en a surpris plus d’un, alors que ce type d’épisode était devenu plus rare au fil des années. Or, dans un contexte d’hivers plus doux et de débourrements plus précoces, la taille tardive s’avère essentielle pour retarder la sortie des bourgeons. « On commence à tailler en février, parce qu’on a 23 hectares et qu’on ne peut pas tout faire en mars, mais on termine par les parcelles les plus gélives afin de limiter les risques », explique-t-il.